l'impact des pluies acides
Étude sur
Quand l’économie et l’environnement s’allient
pour le bien commun
La petite histoire d'une grande victoire sur les pluies acides
Dans sa conférence à Montréal en janvier dernier, la ministre Catherine McKenna a soutenu que la meilleure approche pour régler des dossiers en environnement est celle de la rationalité économique, appuyée par la science.
Elle a cité un seul exemple : la signature en 1991 de l’Accord Canada–États-Unis sur la qualité de l’air. L'étude portant sur l'impact des pluies acides sur la valeur économique de la pêche récréative, commandée par Pêches et Océans Canada, a joué un rôle crucial pour convaincre les américains de signer le traité.
Selon l'étude, la valeur annuelle de la perte de jouissance des pêcheurs représentait 200 millions $ par année. Pour les seuls pêcheurs, les bénéfices d'un contrôle des pluies acides représentaient donc 35 % du coût de 8 milliards $ d'installation de capteurs de souffre dans les cheminées industrielles. Deux ans plus tard, Brian Mulroney et George Bush signaient l’Accord Canada–États-Unis sur la qualité de l’air.
Aujourd'hui, on n'entend plus guère parler des pluies acides, pour la bonne raison que le problème a été réglé par ce traité historique. Avec le recul du temps, on peut l'affirmer :
The agreement led to major reductions in dirty fossil-fuel emissions in both countries. Canada slashed its total sulphur dioxide emissions by approximately 63 per cent from 1990 to 2014, while the U.S. cut emissions by 79 per cent. Both countries also recorded major reductions in nitrogen oxide pollution.
https://globalnews.ca/news/4731021/george-bush-brian-mulroney-acid-rain/
L'économie vs l'environnement ou l'économie de l'environnement
Souvent on oppose l'économie et l'environnement dans les débats sur ces sujets. Le cas des pluies acides illustre qu'on peut obtenir des résultats spectaculaires en s'appuyant sur les principes et méthodes de la science économique. On me demande souvent de raconter l'histoire des pluies acides, telle que je l'ai vécue à l'époque. Je profite donc du trentième anniversaire de la publication de mon étude pour témoigner du rôle qu'elle a joué dans les négociations qui ont mené à la signature de l’Accord Canada–États-Unis sur la qualité de l’air.
Les pluies acides: une catastrophe qui était en train de se réaliser
Dès 1980 on savait que l'anhydride sulfureux émis par la combustion d'énergie fossiles comme le charbon se combinait avec l'eau dans l'atmosphère, créant de l'acide sulfurique. Poussé par les vents, ce poison retombait en pluie dans tout l'est de l'Amérique du Nord. Avec le temps, les concentrations d'acide sulfurique atteindraient des niveaux qui auraient dévasté nos lacs, rivières et forêts. On en parlait beaucoup dans les journaux à l'époque.
Pour vaincre cette agression, il fallait absolument convaincre les américains de participer à l'effort, car la majorité des gaz sulfureux provenaient des centrales thermiques au charbon du Midwest. Les vents dominants transportait l'acide, qui retombait en pluie dans tout l'est de l'Amérique. Sans surprise, les premières démarches du Canada se heurtèrent à une fin de non-recevoir.
Quelqu'un dans l'équipe canadienne eut l'idée géniale de parler aux américains dans une langue qu'ils connaissent: l'argent. Si effectivement les pluies acides causaient des dommages au Canada, on devrait pouvoir les mesurer pour que les américains assument leur responsabilité, comme dans un procès en dommages. Mais comment évaluer en argent le dommage ressenti par les pêcheurs ?
La mesure économique de l'environnement
L'ouvrage Welfare Economics d'Arthur Pigou a établi en 1920 les bases de l'économie de l'environnement:
Pigou's most enduring contribution was The Economics of Welfare, 1920, in which he introduced the concept of externality and the idea that externality problems could be corrected by the imposition of a Pigovian tax. The externality concept remains central to modern welfare economics and particularly to environmental economics.
https://en.wikipedia.org/wiki/Arthur_Cecil_Pigou
Le concept d'externalité est central dans l'économie de l’environnement. Une externalité est un phénomène qui a une certaine valeur, mais qui ne fait pas l'objet de transactions monétaires, comme la qualité de l'air.
Quand on parle de l'aspect économique de la pêche récréative, on a généralement en tête l'activité de pourvoyeurs, les dépenses pour les bateaux, l'équipement de pêche etc. Ces choses existent, mais elles demeurent accessoires à la principale valeur de l'activité: la satisfaction et le plaisir retirés par les pêcheurs du fait de leur expérience de pêche. Comme l'accès aux zones de pêche n’est pas ou peu tarifé, on ne peut pas observer directement la valeur de l'expérience de pêche elle-même; elle a lieu en dehors, à l'extérieur d'un marché conventionnel. C'est une externalité.
J'ai ainsi réalisé de nombreuses études de valorisation des externalités : le bruit de la circulation, les pistes cyclables, les parcs urbains, la pêche au saumon, la valeur des beaux paysages, etc. C'est pourquoi Pêches et Océans Canada m'a demandé de mesurer la valeur de la pêche récréative dans l'est du Canada.
Combien ça vaut quand ça mord moins ?
Plus précisément, la question était : quelle serait la perte de valeur économique que subiraient les pêcheurs parce que la probabilité de capturer des poissons diminuerait à cause de l'acidification de leur habitat.
Grâce à un échantillon de 32 000 questionnaires et à des techniques économétriques de pointe, j'ai pu construire un modèle économétrique de la de demande pour la pêche récréative et mesurer la valeur de la perte de jouissance des pêcheurs, selon divers scénarios de poursuite ou non des pluies acides dans l'avenir.
Je ne vais pas rentrer dans les détails techniques, mais je me souviens bien que quand j'ai terminé la procédure de calcul, je croyais que j'avais fait une erreur: la valeur annuelle de cette perte de jouissance dépassait les 200 millions $ ! Mais en révisant le tout il n'y avait pas d'erreur. En y pensant bien, avec plus de 50 millions de journées de pêche par an, ça ne représente que 4 $ par jour. Ce n'est pas grand-chose si on considère les dépenses que les pêcheurs consacrent à leur passion.
Le choc, le déni et l'acceptation
Quand l'étude fut présentée aux américains, leur réaction en fut une de déni: d'où viennent ces chiffres, qu'est-ce que c'est que cette histoire d'externalité et peut-on se fier à cette étude? Devant leur scepticisme et ma confiance dans mes résultats, Pêche et Océans Canada organisa rien de moins qu'une conférence internationale sur mon étude. Les américains y déléguèrent leurs meilleurs spécialistes, dont Jack Knetsch, le créateur de la méthode des coûts de transport dite de Clawson-Knetsch, utilisée dans mon étude pour modéliser la demande et calculer la valeur de l'externalité.
En rentrant dans la salle du Rideau Hall à Ottawa, je fus impressionné par l'ampleur de l'assistance : plus de 300 personnes venues débattre de mon étude. En m'approchant de ma place, en face de la table des panelistes, je reconnus M. Knetsch que j'avais rencontré à son organisme Resources For the Future à Washington. Il me reconnut aussi et me fit un clin d'œil ou un sourire. Je ne me souviens plus, mais ma pression sanguine baissa d'un coup. Ça je m'en souviens.
À la fin du colloque le verdict tomba: mon étude était validée par les meilleurs experts au monde. M. Knetsch ajouta que c'était une des meilleures applications de sa méthode qu'il avait vue. Mon travail se terminait là. La suite de l'histoire est toutefois ce qui est le plus intéressant. Je vous la raconte telle que mes responsables de Pêche et Océans Canada me l'ont relatée.
L'argumentation et l'action
L'étude démontrait que si le Canada et les USA s'entendaient pour réduire les pluies acides, la valeur actualisée du bénéfice pour les pêcheurs seraient de 2,9 milliards $ plus élevée que si les pluies acides n'étaient pas contrôlées.
Le programme de contrôle envisagé dans les discussions avec les américains consistait à installer dans les cheminées des capteurs pour intercepter les molécules d'acide. Le coût de ces dispositifs était évalué à 8 milliards $.
Avec le seul bénéfice de la pêche récréative, on couvrait donc 35 % du coût du programme. On m'a rapporté que M. Mulroney a demandé aux Américains si ça leur suffisait ou s'il fallait continuer les études avec les impacts sur la foresterie, l'agriculture, les bâtiments et, finalement, sur la santé humaine. À la fin, les dommages pourraient être tellement importants que ceux supportés par les résidents des états du nord-est américain seraient sans doute suffisants pour justifier l'investissement, sans compter que les Canadiens pourraient demander un dédommagement pour la destruction de leur environnement.
Quelques mois plus tard, en 1991, Brian Mulroney et George Bush signaient l’Accord Canada–États-Unis sur la qualité de l’air et aujourd'hui, on n'en parle plus.
Sauf pour rappeler que Brian Mulroney a été un des premiers ministres les plus verts de l'histoire du Canada.
In 2006, he was voted the “greenest” prime minister in Canadian history in a survey by Corporate Knights: The Magazine for Clean Capitalism
https://www.thecanadianencyclopedia.ca/en/article/brian-mulroney
Ou, comme l'a fait Catherine McKenna à Montréal en janvier en rappelant que le cas des pluies acides est un exemple éloquent de ce qu'on peut réaliser en combinant l'économie et l'environnement plutôt qu'en les opposant, comme on le fait hélas trop souvent.
Depuis, on a fait des progrès immenses dans l'intégration des principes de la science économique environnementale dans le fonctionnement de l'économie. Le marché du carbone en est l'exemple le plus frappant. C'est de toute évidence en poursuivant dans cette direction qu'on arrivera à internaliser les coûts du réchauffement planétaire dans le fonctionnement de nos économies et à vaincre cette menace, comme on l'a fait avec les pluies acides.
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